Bénévolat et insertion professionnelle des jeunes diplômés : un impact sous conditions .
En préparation de 2011, « année européenne du bénévolat », et dans le cadre d’une enquête financée par le fonds d’expérimentation pour la jeunesse, l’équipe de recherche Géode (Groupe d’évaluation des origines des discriminations à l‘embauche) de la fédération de recherche du CNRS Tepp (Travail, emploi et politiques publiques) a mené une enquête quantitative réalisée à partir de la méthode du testing au printemps 2010 en Île-de-France. Leur principale conclusion se résume à l’absence d’influence du bénévolat sur l’insertion professionnelle des jeunes diplômés.
C’est dans le cadre de ce contrat de recherche que le Largotec a signé une convention et que quatre chercheurs ont réalisé une enquête qualitative auprès d’employeurs et de bénévoles afin d’analyser l’impact du bénévolat des jeunes diplômés sur leur insertion professionnelle. L’enquête a été menée en partenariat avec trois associations : Les Scouts et Guides de France, La Croix Rouge française et le Comité National Olympique et Sportif Français.
Quels les principaux résultats de cette étude ?
Du côté des bénévoles d’abord. Même si la nature des engagements et des associations diffèrent grandement, on a constat é que tous les bénévoles font apparaitre sur leur CV cet engagement. Pour tous également, cette activité leur a permis d’engranger des acquis personnels (en termes de personnalité, d’épanouissement, de confiance) et/ou des compétences (notamment managériales). Au-delà de ces similitudes, des différences fondamentales apparaissent en termes d’engagement qui semblent jouer un rôle non négligeable en matière d’insertion professionnelle.
L’analyse des entretiens que nous avons réalisés auprès d’anciens jeunes bénévoles met au jour trois rapports à l’engagement bénévoles distincts dont les impacts sur l’emploi diffèrent :
• Un rapport axiologique dominant. Les logiques affectuelle, coutumière et éthique et l’altruisme sont au cœur de l’engagement des chef(taine)s scouts. Ce dernier est vécu dans une logique de don/contre-don. Les compétences acquises et potentiellement transférables dans l’emploi sont sous-estimées voire omises tant cette notion de transférabilité semble hors de leur réflexion soit parce qu’ils ont une assez faible conscience de cet aspect, soit et surtout parce qu’ils refusent (même inconsciemment) d’instrumentaliser leur engagement bénévole au service de leur carrière. Dans ce cas, l’engagement bénévole n’est pas décisif en matière d’insertion professionnelle.
• Un rapport hybride. Ce qui domine chez les anciens secouristes de la Croix Rouge Française, c’est un engagement qui découle d’une rationalité axiologique où la dimension altruiste est prédominante. Mais ils ont davantage conscience que les chef(taine)s scouts France que leur activité bénévole leur a permis d’acquérir des compétences. Ils ont ainsi conscience que sans avoir été déterminant dans l’obtention d’un emploi, cet engagement a pu jouer un rôle positif dans leur insertion professionnelle en fonction du type d’emploi occupé.
• Un rapport plutôt instrumental. C’est le cas des anciens entraîneurs sportifs pour qui l’activité bénévole a été vécue consciemment comme un moment de préprofessionnalisation. Même si tous ont une passion pour le sport (logique affectuelle), ils ont spontanément considéré que leur bénévolat avait généré l’acquisition de compétences qu’ils ont pu transférer dans leurs futurs emplois surtout quand ceux-ci concernent des métiers en rapport avec le sport. Dans ce dernier cas, le bénévolat associatif a joué un rôle décisif pour décrocher des emplois ainsi que dans la réalisation de leurs diverses fonctions professionnelles.
Du côté des recruteurs ensuite. Entre deux cas extrêmes que nous avons identifiés, un recruteur pour qui un engagement bénévole est une condition sine qua non de l’embauche et celui pour qui cela n’a aucune importance, nous avons constaté qu’être engagé dans une activité associative est très largement un plus surtout pour un jeune sans ou avec peu d’expériences professionnelles même si cela reste un argument minime ou marginal. Si tel est le cas, c’est parce que l’engagement correspond principalement à des personnalités recherchées (altruistes, impliquées, dynamiques, dotées d’un esprit d’équipe) par les recruteurs. Mais nous avons également constaté que les recruteurs sous-estimaient largement la transférabilité dans le milieu professionnel des compétences acquises dans le bénévolat.
Si l’engagement associatif peut aider à l’insertion professionnelle, il y a des conditions pour que cet atout potentiel se concrétise : le bénévolat doit être conséquent (en durée, en contenu) et authentique ; sa motivation doit être profondément altruiste ; et enfin il doit avoir un rapport avec la demande organisationnelle (en termes de poste, de métier et/ou de culture). Lorsque ces conditions sont réunies, il faut encore que le candidat sache valoriser son expérience bénévole (ne pas trop en faire, en parler quand cela se justifie, valoriser des apports, mettre en rapport avec l’offre d’emploi, l’organisation, ses valeurs, son cœur de métier). Et pour ce faire, il doit avoir pris de la distance par rapport à son activité associative et doit savoir faire preuve de suffisamment de réflexivité à l’égard de son bénévolat pour le mettre en correspondance avec ce que le recruteur recherche.
Seuls deux facteurs peuvent être des limites de l’engagement bénévole : la peur d’un manque de disponibilité temporelle pour le travail et les risques liés à un conflit avec les valeurs de l’entreprise. Ce dernier obstacle n’a jamais été évoqué à propos des trois associations faisant l’objet de cette étude, les craintes portaient sur des cas d’engagement de type caritatif ou politique. En dehors de ces restrictions, notre enquête montre que l’engagement bénévole peut se « vendre » sur le marché du travail surtout s’il a été authentiquement altruiste… paradoxe montrant un lien possible entre activités (et emploi) marchandes et non marchandes.
Quelle est la portée de ces résultats ?
L’analyse des entretiens (avec les anciens bénévoles et les recruteurs) valide l’hypothèse selon laquelle le bénévolat associatif est un moment de formation informelle pendant lequel on acquiert des savoirs faire transférables sur le plan professionnel.
Cela montre que l’engagement associatif même s’il est pratiqué pendant du temps hors-travail peut être considéré, sous certaines conditions, comme un « loisir sérieux » permettant d’acquérir diverses aptitudes, connaissances et expériences. Dans ce cas, on peut rapprocher l’activité bénévole d’une activité de « travail » traditionnel, « un travail subjectif professionnel » comme le font un certain nombre de sociologues appelant à un renouveau du regard porté sur l’engagement associatif. Cet aspect est très sous-estimé par les recruteurs comme par les bénévoles interrogés.
Le principal atout du bénévolat associatif mis en avant par les deux populations concerne la fonction d’éclairage qu’il joue à propos de la personnalité du recruté potentiel. Mais pour qu’il influe positivement sur le choix du recruteur, c’est sa dimension altruiste qui doit être mise en valeur car c’est ce qui correspond à une certaine éthique civique du travail en France c’est à dire à un certain devoir d’utilité sociale.
On peut avancer deux explications aux différences entre nos résultats et ceux du testing qui ne montraient pas de réelle corrélation. La première tient à la spécificité des secteurs testés, notamment le secteur bancaire qui ne semble pas du tout prendre en compte ce type d’informations pour recruter des diplômés (nous l’avons vérifié lors de nos entretiens « recruteurs »). La deuxième concerne les emplois techniques pour lesquels ce sont avant tout des compétences techniques qui sont exigées et non une personnalité particulière comme nous l’ont indiqué certains recruteurs. En outre, pour le secteur informatique les horaires de travail sont souvent fluctuants et la variable de la disponibilité temporelle a pu ici jouer en défaveur d’un candidat qui présente un engagement associatif.
Au fond, l’impact du bénévolat associatif est contingent de la manière dont il est présenté et vécu par le jeune. Une fois engagé pour des raisons essentiellement altruistes, plus celui-ci le vit ensuite comme une période de préprofessionnalisation, plus il aura une posture réflexive par rapport à cette activité et plus il aura de chances d’en faire un atout d’insertion professionnelle. L’impact positif se construit par le jeune dès son engagement dans le bénévolat mais aussi dans l’interaction entre recruté potentiel et recruteur.
Du côté des recruteurs, la représentation de l’engagement bénévole et de ce qu’il apporte aux jeunes qui l’ont pratiqué revêt aussi une importance non négligeable. Le monde des organisations et de ses décideurs (notamment en matière de recrutement) semble méconnaître la substance et le sérieux du travail effectué dans le monde associatif (comme si sa dimension non marchande avait un effet dévaluateur) et donc sous-estime les apports non seulement humains et comportementaux, mais aussi cognitifs et opérationnels d’un engagement bénévole durable. Lorsque le hasard joue et qu’un recruteur appartient ou a appartenu au même réseau associatif, et cela est plus fréquent qu’on ne le croit souvent, l’interaction recruteur/jeune est évidemment accrue au profit du candidat.
Béatrice BARBUSSE, Dominique GLAYMANN, LARGOTEC, Université Paris-Est.