Communication présentée par Béatrice Barbusse, Dominique Glaymann et François Grima aux XIVèmes Journées longitudinales dans l’analyse du marché du travail, à l’Université d’Orléans le 31 mai 2007.
Résumé
Intégrée de longue date aux cursus de formation menant à différents métiers (médecins, ingénieurs ou enseignants par exemple), la pratique de stages étudiants s’est fortement répandue ces dernières décennies à la fois parce que de nombreux cursus l’ont adoptée et parce que la massification de l’enseignement supérieur (post-bac dans les cas que nous étudions) y a conduit des quantités croissantes de jeunes. Alors que la primo-insertion professionnelle des jeunes se fait dans une instabilité souvent durable, les stages peuvent-ils combiner flexibilité et sécurité ?
Ces dernières décennies ont vu la multiplication de stages en cours et en fin de cursus universitaires (BTS, DUT, Licences, Maîtrises, DESS devenus Masters). En 2002, le Cereq constatait que « sur les 350 000 jeunes sortis de l’enseignement supérieur (hors apprentissage), 250 000, soit près de 72%, déclarent avoir effectué des stages durant leurs études. » En 2005, le Conseil économique et social indiquait que « près d’un étudiant sur deux, soit environ 800 000 étudiants, effectue au moins un stage au cours de sa scolarité. » En 2006, le ministère de la Recherche reprenait le chiffre de 160 000 stagiaires que l’INSEE avait dénombré dans son enquête sur l’emploi.
On distingue au moins deux catégories assez différentes de stages :
les « stages obligatoires » qui font officiellement partie des programmes d’enseignement, des cursus et de leur valorisation sous la forme d’ECTS,
les « stages facultatifs » que choisissent de faire des étudiants (même après qu’ils aient obtenu leur diplôme, ce qui les oblige parfois à se réinscrire) pour pallier leurs difficultés à décrocher un emploi.
D’un côté, ces stages tendent à généraliser une phase de transition servant d’apprentissage et d’intégration professionnelle comme cela se pratique depuis longtemps dans certains métiers (enseignants, médecins, ingénieurs…). De ce point de vue, ils peuvent jouer un rôle de sécurisation du parcours, d’une part en améliorant l’employabilité (acquisition d’expériences, développement de savoir faire, enrichissement du CV…) et d’autre part en permettant de franchir la porte d’entreprises (ou d’autres employeurs : administrations et associations).
Différentes études montrent le potentiel de ces stages pour l’insertion des jeunes diplômés. Les résultats d’une enquête menée par B. Barbusse en 2003 auprès de 305 étudiants de l’AES de l’Université Paris XII titulaires d’un DESS ont confirmé ce résultat (27,2% des étudiants des DESS de l’AES de Paris XII avaient décroché un premier poste dans la foulée de leur stage de fin d’année).
D’un autre côté, ils génèrent une nouvelle forme de sous-emploi qui tend à enfermer les jeunes concernés dans une trappe à précarité d’où ils peinent à sortir et qui peut de surcroît produire du déclassement professionnel entraînant une insertion professionnelle dégradée en terme de qualification et rémunération. Il apparaît en effet assez clairement que différentes organisations recourent aux stages comme à une forme d’emploi flexible (sans continuité, sans durée et sans garantie), voire de travail clandestin qui leur permet de faire réaliser des tâches qui devraient revenir à des salariés par des jeunes qu’elles sous-paient (une « gratification » inférieure à 30% du SMIC évite de payer toute charge sociale) et qui sont privés de tous les droits sociaux.
Beaucoup de témoignages confirment que de nombreux stages ne servent qu’à exploiter de la main-d’œuvre jeune qui est à la fois peu expérimentée et malléable. L’intervention du Collectif Génération précaire (créé en septembre 2005) a rendu évident l’usage abusif des stages poussant à la fois le gouvernement, le patronat les confédérations syndicales à interroger le statut ou le non statut des stagiaires et à envisager une réglementation dont on peut se demander si elle est de nature à réorganiser la relation formation-emploi et à sécuriser les débuts de parcours professionnels des jeunes diplômés.
On se propose ici de réfléchir aux conséquences de la multiplication des stages en se demandant à quoi et à qui ils servent. On essaiera plus précisément de voir dans quelle mesure ce qui apparaît comme une nouvelle norme de socialisation peut devenir un outil transitionnel efficace.
La phase de primo-insertion professionnelle est en effet devenue une « transition » problématique dans le contexte du sous-emploi massif persistant et de l’emploi de plus en plus flexible. Les employeurs du secteur marchand, mais on trouve des comportements très proches dans le secteur non marchand, ont pris l’habitude d’externaliser les coûts que génère l’acquisition d’expérience d’un jeune entrant en emploi soit en reportant ce coût vers l’État (qui subventionne ou exonère de charges sociales), soit vers les jeunes eux-mêmes et leur famille (qui supporte des rémunérations très faibles et intermittentes). Dans cette situation, l’invention de nouveaux outils apparaît nécessaire pour sécuriser cette transition particulière. Il convient alors de se demander si et sous quelles conditions les stages peuvent y contribuer.
Plan
Éléments d’un état des lieux des stages
Les stages conduisent-ils plutôt à l’insertion ou à la précarisation des jeunes diplômés ?
Des hypothèses qui restent à tester
© B. Barbusse, D. Glaymann, F. Grima, 2007