La vie en intérim. (2005). Fayard.

Présentation d’une enquête sur l’essor de l’intérim et la vie des intérimaires.

Table des matières

Remerciements

Préface (Jean-Pierre Durand)

Introduction

- Fondement d’une hyptohèse
- L’enquête
- Choix méthodologiques

Chapitre I : Flexibilisation et changement social

1. Trente ans de mutations macro-économiques
2. Les transformations du système d’emploi

Chapitre II : L’essor du travail temporaire

Un poids croissant
Une légitimité progressivement obtenue

Chapitre III : L’élargissement des fonctions du travail temporaire

Le dépassement du rôle initial
Une composante dynamique du nouveau système d’emploi

Chapitre IV : Pourquoi est-on intérimaire ?

Qui sont les intérimaires ?
Pourquoi devient-on intérimaire ?
Pour quoi recourt-on à l’intérim ?

Chapitre V : Intérim et précarité

La précarité inhérente au travail temporaire La socialisation en question

Chapitre VI : Un symptôme de changement social

Essor de l’intérim et mutation de l’emploi
Un système porteur de tensions sociales

Conclusion

Bibliographie

Liste des abréviations

Annexe 1 : Éléments sur l’enquête

Annexe 2 : L’accord Manpower-CGT du 9 octobre 1969

Annexe 3 : Les principaux accords nationaux professionnels concernant le personnel intérimaire des ETT en France 1982-2002

© Librairie Arthème Fayard, 2005

Début de l’introduction

Introduction

« De toute évidence, la description fait surgir le besoin d’une explication. Celle-ci nécessite d’abord des hypothèses et un arsenal de concepts préalables ; leur utilité est de mettre en évidence une ou plusieurs fonctions ou plus simplement un fonctionnement. » (Pierre Naville, Traité de sociologie du travail, 1970, t. I, p. 59.)

En 2003, 2 des 27 millions d’actifs que compte la France ont travaillé pour une entreprise de travail temporaire. Les emplois pourvus par ces intérimaires ont représenté l’équivalent de 555 000 postes à temps plein, qui s’ajoutent aux 2 millions de postes prenant la forme de CDD, de contrats d’apprentissage et d’autres contrats à durée limitée. Ces chiffres traduisent la place importante prise depuis une trentaine d’années par les diverses formes d’emploi non durable dans un environnement marqué par un chômage massif durable.

Comment et pourquoi le travail intérimaire s’est-il développé ? Qu’est-ce que cela révèle des transformations du système d’emploi, du système productif et du fonctionnement de la société française aux liens sociaux de plus en plus fragilisés ?

La recherche sur laquelle ce livre se fonde visait à analyser les liens entre différents phénomènes : la quête de flexibilité des entreprises, les modalités de mobilisation de la main-d’œuvre, la segmentation des emplois, la montée des situations précaires, le rapport au travail des salariés et les formes de l’intégration sociale. Une mutation qui ne concerne pas uniquement la France : « Les sociétés industrielles, telle la nôtre, traversent une profonde mutation dans la manière de produire les richesses, et cette mutation, en retour, provoque un bouleversement des structures sociales, des styles de vie et des valeurs » [1]. Ces changements s’inscrivent à la fois dans des réalités sociétales particulières et dans le processus de mondialisation, double dimension qu’il convient de prendre en considération. Ce sont les formes de l’emploi, les droits économiques et sociaux qu’elles engendrent, le rapport au travail et sa valeur symbolique, les modes de socialisation et les positions dans la société qui sont aujourd’hui bouleversés.

L’intérim [2] est particulièrement intéressant à explorer dans la mesure où il touche à différentes dimensions des mutations actuelles de l’emploi.Temporaire, cette forme d’emploi se situe à la frontière entre chômage et (plein) emploi sans être synonyme ni de l’un ni de l’autre ;elle contribue ainsi à bousculer cette « frontière ». Particulier, le travail temporaire concerne à la fois la relation salariale et la relation commerciale sans relever d’aucune des deux en totalité ; de la sorte, il participe du renouvellement de la gestion de l’emploi par les firmes. Précaire, l’intérim assure du travail, des revenus et des droits sociaux sans les garantir dans la durée ; il figure donc au cœur des remises en cause des statuts sociaux et des modalités de l’intégration sociale.

Cette forme d’emploi singulière témoigne de la double situation de liberté et d’assujettissement vécue par les détenteurs de force de travail dans la relation salariale. Les salariés sont juridiquement libres de vendre une fraction de leur temps à qui et quand ils le veulent, mais ils sont économiquement obligés de trouver preneur de façon durable ou répétée, ce qui les rend à la fois socialement dépendants des acheteurs potentiels et individuellement autonomes grâce aux droits qu’ils acquièrent au cours de cet échange. Ils sont attachés, voire aliénés, par la marchandisation de la force de travail que traduit l’échange temps/salaire. Mais comme le travail n’est pas seulement l’objet d’un échange marchand, ils sont en même temps des acteurs sociaux qui tissent des liens, se font une place dans la société et tentent de se réaliser au travers de ce qu’ils fabriquent avec d’autres.

L’instabilité professionnelle provoquée par la montée de l’emploi précaire pose problème dans une société où les adultes s’intègrent – ou s’intégraient ? – pleinement à travers leur emploi, élément essentiel de la socialisation à côté d’autres institutions comme la famille et l’école. À ne pas pouvoir ou ne pas vouloir se lier durablement à une entreprise, ces salariés spécifiques que sont les intérimaires vivent dans un entre-deux d’autonomie et de soumission vis-à-vis de leur(s) employeur(s). Construit à l’origine comme exceptionnel et occasionnel, le travail temporaire a connu depuis trente ans une pérennisation et une expansion nette, mais accidentée, sans pour autant se généraliser dans un contexte où la « norme » de l’emploi salarié durable à plein temps chez un employeur unique était de plus en plus concurrencée.

Le nombre de contrats d’intérim a sextuplé depuis les années 1970. Il a triplé à la fin des années 1980, puis, après un tassement au début des années 1990, il a doublé durant la seconde moitié de cette décennie : on le voit ainsi suivre le rythme de croissance de l’économie française.

© Librairie Arthème Fayard, 2005.

… Suite dans l’ouvrage.

[1] Guy Aznar, 1998, p. 7.

[2] Je parlerai indifféremment du travail temporaire et de l’intérim pour traiter de la relation d’emploi organisée par les entreprises de travail temporaire (et leurs établissements, les agences d’intérim) entre les intérimaires et les entreprises utilisatrices. Comme l’a écrit Guy Caire (1993, p. 4) : « Si le critère à retenir pour caractériser le travail intérimaire est celui de la nature du service fourni et des motivations de l’offreur véritable de travail, pour distinguer notre activité de l’embauche temporaire directe par les entreprises, il convient toutefois de le compléter par l’insertion de la société prestataire de main-d’œuvre. C’est par conséquent l’organe – l’existence de sociétés louant de la main-d’œuvre temporaire – qui caractérisera la fonction. »